David Chemla, secrétaire européen de JCall : « Reconnaître la Palestine, ce n’est pas reconnaître le Hamas »

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David Chemla, secrétaire européen de l’association JCall, vient d’accorder une interview au magazine français « Marianne ». David Chemla critique vigoureusement le projet de loi de renforcement du caractère juif de l’Etat d’Israël adopté par le gouvernement Netanyahou et salue la résolution pour la reconnaissance d’un Etat palestinien qui est débattu ce vendredi à l’Assemblée nationale: « Cela renforcerait les modérés palestiniens et constituerait un électrochoc dans la région », estime-t-il.

Marianne: Le gouvernement israélien s’est prononcé en début de semaine en faveur d’un texte sur le renforcement du caractère juif de l’Etat d’Israël. Ce projet de loi adopté par le gouvernement et qui devrait être soumis au Parlement début décembre définit Israël non plus comme un Etat «juif et démocratique» mais comme «l’Etat national du peuple juif». Il dispose également que l’hébreu est la langue nationale et retire le statut de langue officielle à l’arabe, lui octroyant un «statut spécial». Quelle interprétation faites-vous de ce projet de loi ?

David Chemla: C’est une loi inutile et mal venue qui va à l’encontre de la déclaration d’indépendance qui dit bien qu’Israël est un «Etat juif et démocratique» dans lequel le mot «juif» est tout aussi important que le mot «démocratique». Tzipi Livni, l’actuelle ministre de la Justice, qui a vivement critiqué cette proposition de loi, a d’ailleurs publié sur sa page Facebook les premiers paragraphes de la déclaration d’indépendance marquant au feutre rouge les éléments qui iraient à l’encontre de cette déclaration d’indépendance, c’est-à-dire les principes fondateurs de l’Etat. Cette loi est donc dangereuse pour l’image d’Israël et pour son identité mais aussi, dans le contexte actuel, pour les populations arabes israéliennes et les autres communautés car elle ne ferait qu’accentuer la fracture qui existe déjà. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le nouveau président de l’Etat d’Israël, Reuven Rivlin, qui a remplacé Shimon Peres, plutôt connu comme un dur du Likoud a exprimé ses vives réticences à l’égard de ce projet, estimant que judaïsme et démocratie sont les deux fondements également solides de l’Etat d’Israël.

Comment expliquez vous ce durcissement de la ligne d’un gouvernement fondé pourtant sur une coalition déjà fragile?

Cette loi répond justement à une manœuvre de politique intérieure de la part de Netanyahou par rapport à sa droite au sein du gouvernement et de son extrême droite au sein de sa coalition. Il est fort probable qu’il y ait des élections en 2015 et Netanyahou est obligé de donner des gages à cette coalition fragilisée. Paradoxalement, alors qu’en France, il est perçu à droite voire à l’extrême droite de la politique israélienne, en Israël, Netanyahou est plutôt situé au centre de la droite et ses proches n’ont pas obtenu de places au Parlement lors des élections intermédiaires. C’est la frange droitière du Likoud qui s’en est le mieux sortie et Netanyahou est désormais menacé par son extrême droite.

Netanyahou cherche-t-il à faire éclater sa coalition afin d’obtenir l’organisation d’élections anticipées?

Je ne crois pas que cela soit son intérêt aujourd’hui. Son intérêt serait même plutôt de la maintenir si tant est qu’elle se maintienne. Toute la politique de Netanyahou est au contraire tournée vers l’objectif de sa survie politique, quitte à prendre des décisions qui fâchent. L’été dernier, il a longtemps hésité à être à l’origine d’un conflit militaire. Il a tout fait pour l’éviter, contraint par les bombardements du Hamas sur le territoire israélien. Aujourd’hui il veut maintenir le statu quo : sa coalition, si elle tient, lui permet de tenir encore deux ans au pouvoir. Par ailleurs, Netanyahou sait bien qu’une loi de ce type, telle qu’elle est formulée aujourd’hui, a mathématiquement très peu de chances d’être adoptée à la Knesset.

Netanyhou avait promis de répondre «d’une main de fer» à l’attentat contre une synagogue de Jérusalem le 18 novembre dernier, qui a causé la mort de cinq personnes. Cette initiative doit-elle être comprise comme la réponse politique à cette attaque terroriste ou à un mouvement plus général d’exacerbation des extrémismes religieux de part et d’autre?

Je ne crois pas que cela soit directement lié à l’attentat du 18 novembre dernier. En revanche, il est vrai que nous assistons dans notre monde et particulièrement dans cette région à un retour du religieux islamique, juif et chrétien. Le conflit régional pousse à des replis identitaires dont se nourrissent les partis extrémistes ou les franges extrêmes des partis. Ces phénomènes se nourrissent l’un l’autre.

Outre cet environnement régional, en Palestine, le rapport de forces entre les mouvements Fatah et Hamas a évolué. Paradoxalement, le Hamas est sorti renforcé de la guerre cet été alors que militairement il a été affaibli. D’abord parce que le conflit a duré cinquante jours et, pendant cette période, pour la première fois, le Hamas a montré qu’il pouvait tirer des roquettes sur la quasi-totalité du territoire israélien. Il s’est également montré beaucoup plus dangereux pour l’armée israélienne que lors des précédents conflits. Par ailleurs, sa popularité est en plein essor en Cisjordanie où il est désormais perçu comme un mouvement de résistants. De son côté, le Fatah, en plus d’être perçu comme un parti corrompu, n’a pas prouvé ces derniers années — même si la politique d’Israël n’a pas aidé — que la voie diplomatique pouvait donner des résultats.

Vous êtes le secrétaire général européen de l’association JCall, croyez-vous encore à la possibilité d’un règlement pacifique et politique du conflit?

Sur la base de négociations directes, nous n’arriverons à rien. Ces négociations ont déjà eu lieu, il n’y a eu aucune avancée. Nous n’avons aucune perspective sinon la colonisation qui se poursuit, le terrorisme qui revient et le fondamentalisme qui gagne du terrain.

Sur le plan théorique, les Américains et les Européens ont encore une grande partie des cartes en main d’un point de vue politique, diplomatique et économique avec l’établissement très précis d’un agenda de négociations dont le but ne serait pas de viser strictement un accord de paix qui n’a plus de sens, mais un accord de séparation. Les deux Etats définiront alors leurs relations réciproques. En l’espèce, la solution des deux Etats, avec une frontière les séparant et un échange de territoires tenant compte des réalités, reste la seule susceptible de répondre aux besoins vitaux des deux populations.

D’un point de vue pratique, Obama après sa défaite aux élections de midterm a deux années devant lui durant lesquelles il n’a rien à perdre. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la majorité juive américaine a voté Obama lors de ces élections et que, selon les sondages, pour cet électorat la politique américaine en Israël n’est pas fondamentale dans le choix de leur vote.

Du côté européen, on moque beaucoup chez nous les insuffisances de la politique diplomatique européenne. Mais si elle le voulait, l’Europe serait capable de faire de grandes choses. C’est aux pays leaders de lancer ce mouvement.

Justement, plusieurs parlements européens ont exhorté leurs représentants à la pleine reconnaissance de l’Etat palestinien. En France, trois députés socialistes, dont l’ex-ministre Benoît Hamon, ont proposé que l’Assemblée nationale adopte une résolution invitant à une reconnaissance française d’un état palestinien. La proposition sera discutée ce vendredi. Quelle serait la signification d’un tel vote?

Le retour au politique est désormais indispensable. Mais il n’y a rien à attendre de l’actuel gouvernement israélien et les marges de manœuvre de la Knesset sont très faibles. Il faut donc en passer par des reconnaissances unilatérales.

C’est une reconnaissance qui doit être comprise de manière intelligente. Reconnaître la Palestine, ce n’est pas reconnaître le Hamas, ce n’est pas reconnaître un Etat terroriste. C’est une démarche exigeante vis-à-vis des Palestiniens. Cela renforcerait d’ailleurs les modérés palestiniens, cela constituerait un électrochoc dans la région et donnerait des perspectives aux Palestiniens. Il y a également au sein de la population israélienne une attente forte d’un retour au politique. Dans le contexte actuel de blocage politique dans la région, de renforcement des fondamentalismes et de retour aux attentats, il faudrait même une initiative forte venant de toute l’Europe qui pourrait et devrait, pays par pays, reconnaître la Palestine.

Le ministre des Affaires étrangères français, Laurent Fabius, a une position ambiguë sur la question. S’il est d’accord sur le principe de la reconnaissance de la Palestine, il se montre beaucoup plus flou sur les modalités…

Effectivement. Peut-être que l’agenda diplomatique français n’est pas celui-là. Il s’est passé la même chose en Angleterre. Le Parlement a voté une résolution de ce type mais le gouvernement ne l’a pas reconnue. Il n’en reste pas moins qu’une telle initiative est un signe du positionnement de l’opinion publique en France et en Europe. Si ce texte passe et même si le gouvernement ne l’endosse pas, c’est un message fort qui sera envoyé aux dirigeants israéliens.

Cliquer ici pour lire l’interview sur le site du magazine MARIANNE

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